Super coraux, un terme pas si super ?
Écrit par Richard Singhroy
Remerciements Ă Dr. Emma Camp
Des grands fonds marins aux frontières de l’Arctique en passant par les cĂ´tes tropicales, les coraux sont Ă la base de nombreux Ă©cosystèmes. Les rĂ©cifs coralliens existent depuis des millions d’annĂ©es et font vivre des milliers de communautĂ©s dans le monde. Cependant, en raison du changement climatique, ces merveilleux Ă©cosystèmes pourraient ĂŞtre les premiers Ă disparaĂ®tre de la planète. Selon le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC), mĂŞme si nous atteignons l’objectif de limiter le rĂ©chauffement de la planète Ă 1,5°C, nous devrions perdre jusqu’à 90% des coraux dans le monde (GIEC, 2018). Dans le but de mieux comprendre comment les coraux peuvent rĂ©pondre Ă ces conditions changeantes et sauver les Ă©cosystèmes coralliens de l’effondrement, les chercheurs se penchent sur le potentiel des “super-coraux”. Mais qu’est-ce qu’un “super-corail” ? Que savons-nous d’eux ?
Il n’existe pas de dĂ©finition unique du “super-corail”. Le terme est rarement utilisĂ© dans la littĂ©rature scientifique, avec quelques exceptions (voir Grottoli et al, 2017 et Camp et al, 2018). Ce sont souvent les mĂ©dias de masse qui relatent les recherches qui qualifient alors un tel corail de super-corail. Cela ne signifie pas pour autant que les chercheurs n’utilisent pas du tout ce terme, qui peut ĂŞtre utile dans certains cas pour dĂ©crire un certain “groupe” de coraux. S’il n’existe pas de dĂ©finition fixe des super-coraux, que devons-nous comprendre lorsque nous lisons et entendons ce terme ? Dr Emma Camp et son Ă©quipe de collaborateurs ont proposĂ© une explication du terme qui ne le dĂ©finit peut-ĂŞtre pas, mais qui permet de comprendre l’idĂ©e qui le sous-tend.
Qu’est-ce qu’un “super-corail” ?
Un “super-corail” est en fin de compte un corail prĂ©sentant une tolĂ©rance/survie supĂ©rieure lorsqu’il est exposĂ© Ă des conditions considĂ©rĂ©es comme “stressantes” pour la plupart des espèces de coraux (Camp et al, 2018).
Simple, n’est-ce pas ?
Pas tout Ă fait, car il existe diffĂ©rentes façons pour un corail d’atteindre la survie dans des conditions stressantes. La survie grâce au refuge et la survie grâce Ă la tolĂ©rance ne sont pas les mĂŞmes.Â
La survie grâce au refuge est obtenue parce qu’un facteur environnemental protège le corail du stress. Cette protection peut ĂŞtre assurĂ©e par d’autres organismes tels que les mangroves ou par des conditions hydrologiques telles que des courants d’eau plus froids qui maintiennent une partie de l’Ă©cosystème au frais tandis que le reste surchauffe, facilitant ainsi la survie du corail.Â
D’autre part, la survie par la tolĂ©rance peut ĂŞtre caractĂ©risĂ©e comme une capacitĂ© accrue d’un corail Ă faire face au stress sans avoir besoin d’une aide extĂ©rieure, mais par des mĂ©canismes intrinsèques issus de la sĂ©lection gĂ©nĂ©tique ou du conditionnement Ă un stress particulier (Camp et al, 2018). Il est important de distinguer ces survivances car elles peuvent modifier les cas d’utilisation du corail. Il se peut Ă©galement que la survivance dĂ»e au refuge ne suffise pas Ă faire un “super-corail” (Camp et al, 2018).Â
Ainsi, dĂ©finir quel mĂ©canisme se cache derrière l’augmentation de la survie des “super-coraux” est important pour prendre de meilleures dĂ©cisions sur leur gestion et leur potentiel dans les scĂ©narios futurs.
En outre, il existe diffĂ©rents types de stress en fonction de leur durĂ©e, de leur intensitĂ© et de leur source. Il y a le stress environnemental, un stress persistant, qui dure longtemps. Pensez au rĂ©chauffement progressif des ocĂ©ans, ou Ă l’augmentation constante du pH de l’eau des ocĂ©ans (connue sous le nom d’acidification des ocĂ©ans). Ce n’est pas la mĂŞme chose que le stress aigu. Le stress aigu est un Ă©vĂ©nement de stress rapide et soudain qui peut ne pas durer longtemps, comme un Ă©vĂ©nement El Niño ou El Niña, ou d’autres Ă©vĂ©nements de blanchiment soudains mais “de courte durĂ©e”. La survie des coraux au stress persistant aigu ne signifie pas un conditionnement au stress aigu, une considĂ©ration importante lors de la projection de l’utilisation de la survie des coraux dans des conditions futures (Camp et al, 2018).
Il en va de mĂŞme pour la source de stress. Un corail capable de tolĂ©rer des tempĂ©ratures Ă©levĂ©es peut ne pas ĂŞtre capable de tolĂ©rer une salinitĂ© Ă©levĂ©e. La moyenne annuelle et mondiale de la tolĂ©rance des coraux est de 21,7 Ă 29,6 °C pour la tempĂ©rature et de 28,7 Ă 40,4 psu pour la salinitĂ© (Guan et al, 2015). La plupart des coraux ne peuvent tolĂ©rer que des tempĂ©ratures supĂ©rieures de 1 Ă 2 degrĂ©s au maximum moyen estival et ne peuvent le faire que pendant 2 Ă 4 semaines (Hoegh-Guldberg, 2011). Un “super-corail” peut ĂŞtre capable de tolĂ©rer plusieurs ou une seule de ces variables environnementales en dehors de leur plage maximale-minimale. Ainsi, lorsqu’on parle de “super-corail”, la dĂ©finition du stress auquel il est rĂ©sistant peut grandement contribuer Ă la comprĂ©hension commune du terme.Â
Enfin, il faut Ă©galement comprendre que certains super-coraux peuvent ne pas ĂŞtre aussi rĂ©sistants aux conditions futures qu’aux conditions actuelles, car les conditions ocĂ©aniques Ă©voluent. Pour tester la rĂ©ponse des “super-coraux” actuels aux conditions futures, et donc leur utilisation potentielle pour la conservation, les scientifiques ont recours Ă l’expĂ©rimentation et aux tests de stress dans des conditions expĂ©rimentales contrĂ´lĂ©es (comme Voolstra et al, 2020 et Savary et al, 2021). C’est ainsi que nous pouvons mieux comprendre leurs performances dans diffĂ©rentes conditions et rĂ©gimes de stress.
Conclusion
La question de savoir si nous devrions utiliser le terme “super-corail” ou non n’est pas vraiment importante. C’est un terme qui est utilisĂ© par de plus en plus de personnes et son utilisation continuera Ă augmenter au fur et Ă mesure que les recherches sur les coraux seront publiĂ©es. Ce qui est plus important, c’est de reconnaĂ®tre que le terme “super-corail” doit ĂŞtre compris comme un terme fourre-tout. Cela signifie qu’il ne prĂ©cise pas en soi le mĂ©canisme de survie d’un corail, le stress auquel il est rĂ©sistant, son aire de rĂ©partition gĂ©ographique et, par consĂ©quent, s’il peut ĂŞtre utilisĂ© comme outil de conservation. Ce n’est pas un terme qui peut se suffire Ă lui-mĂŞme, il a besoin d’un contexte environnemental qui en prĂ©cise la signification, de sorte que la communication puisse ĂŞtre plus affirmĂ©e et qu’Ă son tour, des dĂ©cisions de gestion appropriĂ©es puissent ĂŞtre prises.
Le terme “super-corail” est souvent utilisĂ© pour aider Ă comprendre et Ă dĂ©finir les efforts de conservation visant Ă augmenter la tolĂ©rance des rĂ©cifs coralliens. Un effort qui est devenu urgent alors que les effets du changement climatique sont de plus en plus graves. Les “super-coraux” peuvent s’avĂ©rer ĂŞtre une pièce du puzzle qui peut aider Ă protĂ©ger et Ă prĂ©server les rĂ©cifs coralliens pour les gĂ©nĂ©rations Ă venir. Il est toutefois important de les utiliser avec prĂ©caution et de les comprendre. Dans le prochain article, nous examinerons certaines applications des “super-coraux” dans diffĂ©rents contextes.Â
Littérature citée :
Camp EF, Schoepf V, Suggett DJ. (2018). How can “Super Corals” facilitate global coral reef survival under rapid environmental and climatic change? Glob Chang Biol. Jul;24(7):2755-2757. doi: 10.1111/gcb.14153. Epub 2018 Apr 27. PMID: 29582529.
Grottoli, A. G., Tchernov, D., & Winters, G. (2017). Physiological and Biogeochemical Responses of Super-Corals to Thermal Stress from the Northern Gulf of Aqaba, Red Sea. Frontiers in Marine Science, 4, 215.
Guan, Y., Hohn, S., & Merico, A. (2015). Suitable Environmental Ranges for Potential Coral Reef Habitats in the Tropical Ocean. PLOS ONE, 10(6), e0128831.Â
Hoegh-Guldberg, O. (2011). The impact of climate change on coral reef ecosystems. In Coral reefs: an ecosystem in transition (pp. 391-403). Springer, Dordrecht.Grottoli, A. G., Tchernov, D., & Winters, G. (2017). Physiological and Biogeochemical Responses of Super-Corals to Thermal Stress from the Northern Gulf of Aqaba, Red Sea. Frontiers in Marine Science, 4.Â
IPCC, (2018) Summary for Policymakers. In: Global Warming of 1.5°C. An IPCC Special Report on the impacts of global warming of 1.5°C above pre-industrial levels and related global greenhouse gas emission pathways, in the context of strengthening the global response to the threat of climate change, sustainable development, and efforts to eradicate poverty [Masson-Delmotte, V., P. Zhai, H.-O. Pörtner, D. Roberts, J. Skea, P.R. Shukla, A. Pirani, W. Moufouma-Okia, C. Péan, R. Pidcock, S. Connors, J.B.R. Matthews, Y. Chen, X. Zhou, M.I. Gomis, E. Lonnoy, T. Maycock, M. Tignor, and T. Waterfield (eds.)]. Cambridge University Press, Cambridge, UK and New York, NY, USA, pp. 3-24, doi:10.1017/9781009157940.001.
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