Les macro et microplastiques menacent les coraux d’eau froide
Écrit par : Coralie Barrier et Florina Jacob.
Remerciements à Leïla Ezzat.
Crédits photo : Luis Sanchez Tocino. Universidad de Granada.
Les macro et microplastiques représentent une réelle menace pour les océans et les organismes associés. Cependant, il reste beaucoup à découvrir sur leurs impacts sur les écosystèmes marins profonds. Que nous disent les recherches scientifiques sur l’interaction entre coraux profonds et les plastiques ?
La définition et le devenir des plastiques dans les fonds marins
La distinction entre macro et microplastiques est faite selon leur taille. Mais il n’y a pas vraiment de consensus sur les seuils de taille de chaque catégorie parmi la communauté scientifique (Hartmann et al, 2019). Parmi les définitions, se trouve celle qui identifie les macroplastiques comme les particules faisant 1cm ou plus, et les microplastiques comme particules entre 1 µm et 1000 µm (Hartmann et al, 2019). D’autres approches ont été proposées également, comme celle de Bermudez et Swarenski (2021) qui présentent une classification basée sur les tailles utilisées pour l’étude du plancton.
Malgré ces différentes définitions (ce qui peut poser des difficultés pour la comparaison des études), il n’y a pas de doutes sur l’urgence à mener de plus en plus d’études sur la présence et le devenir du plastique dans les écosystèmes.
89% des déchets plastiques trouvés sur les fonds marins profonds sont du plastique à usage unique provenant des activités humaines sur terre, tel que bouteilles, sacs et l’enveloppe d’aliments (Chiba et al, 2018). Mais les plastiques utilisés en mer sont aussi une source de pollution : le polystyrène expansé, les bouées ou encore les filets de pêche représentent environ 18% des microplastiques présents dans les mers et océans (Lusher et al, 2011).
Les canyons sous-marins de la Méditerranée, reconnus comme abritant des coraux tempérés et d’eau froide, fonctionnent comme des vecteurs de transport des déchets marins (Angiolillo et al, 2021), et les débris plastiques présents représentent environ 70% des déchets observés (Tubau et al, 2015).
Les risques que le plastique représente pour la faune marine sont nombreux : l’enchevêtrement, l’ingestion, l’accumulation dans le réseau trophique, le transport des polluants tels que les métaux lourds et le transport des microbes, entre autres (Chae et al, 2017 ; Wright et al, 2013). En particulier, la création de biofilms à la surface des plastiques par des microbes peut diminuer la flottabilité des plastiques, qui vont se déposer plus rapidement au fond, exposant les organismes du fond à la pollution plastique (Wright et al, 2013 ; Taylor et al, 2016).
Les micro et les macroplastiques colonisés par les colonies microbiennes peuvent également impacter le métabolisme des coraux. Par exemple, des recherches sur l’impact des microplastiques comme vecteurs de maladies, montre que la probabilité que les coraux d’eau peu profonde soient touchés par des maladies, augmente de 4 à 89% suite à un contact avec du plastique (Lamb et al, 2018). Pour les coraux d’eau froide, la recherche sur ce sujet est encore très limitée.
Le cas du corail bâtisseur Lophelia pertusa
Une étude s’intéressant à l’espèce de corail profond Lophelia pertusa, a été réalisée par une équipe de l’observatoire Océanologique de Banyuls-sur-Mer et de l’Institut Alfred Wegener et publiée en 2018 sur Scientific Reports. L’équipe de chercheurs, coordonnés par la Dr. Leïla Chapron, visait à déterminer les conséquences de la pollution plastique sur la croissance, l’alimentation et le comportement des coraux d’eaux profondes à travers l’exposition aux macroplastiques (films de 10x10cm de taille) et au microplastiques (micro-pastilles de 500 μm de taille) pendant 72 jours en conditions contrôlées (aquariums).
Figure : Colonie de corail Lophelia pertusa (Canyon de Mississipi). Photo par : NOAA Ocean Explorer
Suite aux premiers jours d’exposition aux microplastiques ou aux macroplastiques, les chercheurs ont observé une diminution du taux d’activité des polypes coralliens (mouvement des tentacules) ainsi que du taux de capture de proies, en comparaison au traitement témoin, montrant une réponse rapide au stress.
Après 20 jours d’exposition aux macroplastiques, l’activité des polypes a augmenté significativement comparée au témoin, contrairement au taux de capture des proies, qui restait plus bas comparé au témoin. Ces observations suggèrent que les macroplastiques peuvent agir comme une barrière pour la rencontre entre les polypes et les proies, ainsi que pour l’arrivée d’eau chargée en oxygène au tissu corallien, menant les coraux à augmenter le mouvement pour optimiser le contact avec l’eau, comme suggéré par les chercheurs (Chapron et al, 2018).
Les coraux exposés aux microplastiques ont répondu différemment. Après 20 jours d’exposition, l’activité des polypes a augmenté légèrement, toujours en restant mineure comparé au témoin. Le taux de capture des proies, par contre, a augmenté au bout de 47 jours même comparé au traitement témoin, étonnamment. Ces résultats contrastent avec ceux trouvés pour d’autres espèces de coraux exposés aux microplastiques. Par exemple, le corail méditerranéen Astroides calycularis a montré une diminution du taux de capture des proies en présence de microplastiques, lié à une consommation et une manipulation de ceux-ci pendant de longues périodes (Savinelli et al, 2020).
Concernant l’espèce de corail Lophelia pertusa exposée au plastique (macro ou microplastique), Leïla Chapron et son équipe ont souligné que le taux de croissance du squelette corallien était mineure, comparé au traitement témoin. Ceci suggère un changement dans le comportement d’alimentation des coraux, résultant en une diminution de l’apport nutritionnel qui peut influencer la production du squelette corallien, et, à terme, la formation du récif.
Conclusion
Cette étude met en évidence les dangers que la pollution plastique représente pour le comportement, l’alimentation, et la formation du squelette des coraux d’eau froide. Étant des bâtisseurs d’écosystèmes qui offrent de l’habitat et des ressources à la biodiversité marine (une zone de coraux d’eau froide présente 29 fois plus de biodiversité marine qu’une zone sans coraux), les impacts négatifs sur les coraux peuvent s’étaler au-delà des frontières des écosystèmes, nuisant la biodiversité marine et les communautés humaines.
Bibliographie :
Angiolillo, M., Gérigny, O., Valente T., Fabri M.C., Tambuté E. Rouanet E., Claro F., Tunesi L. Vissio A., Daniel B., Galgani F. (2021) Distribution of seafloor litter and its interaction with benthic organisms in deep waters of the Ligurian Sea (Northwestern Mediterranean) Sci. Tot. Environ. 788 147745. https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2021.147745
Bermúdez, J.R.; Swarzenski, P.W. (2021) A microplastic size classification scheme aligned with universal plankton survey methods. MethodsX, 8, 101516.
Chae, Y. & An, Y.-J. (2017) Effects of micro- and nanoplastics on aquatic ecosystems: Current research trends and perspectives. Mar. Pollut. Bull. 124 (624–632).
Chiba S., Saito H. , Fletcher R., Yogi T., Kayo M., Miyagi S., Ogido M., Fujikura K. (2018) Human footprint in the abyss: 30 year records of deep-sea plastic debris. Marine Policy 96 (204-212). https://doi.org/10.1016/j.marpol.2018.03.022.
Chapron, L., Peru, E., Engler, A. et al. (2018). Macro- and microplastics affect cold-water corals growth, feeding and behaviour. Sci Rep 8, 15299 https://doi.org/10.1038/s41598-018-33683-6
Hartmann, N.B., Hüffer T., Thompson R.C. , Hassellöv M., Verschoor A., Daugaard A.E., Rist S., Karlsson T., Brennholt N., Cole M., Herrling M.P., Hess M.C., Ivleva N.P., Lusher A.L., Wagner M. (2019) Are we speaking the same language? Recommendations for a definition and categorization framework for plastic debris Environ. Sci. Technol., 53 , pp. 1039-1047, 10.1021/acs.est.8b05297
Lamb, J. B., Willis, B. L., Fiorenza, E. A., Couch, C. S., Howard, R.; Rader, D. N.; True, J. D., Kelly, L. A.; Ahmad, A.; Jompa, J., Harvell, C. D. (2018) Plastic waste associated with disease on coral reefs. Science, 359(6374) (460–462) . doi:10.1126/science.aar3320
Lusher, A., Hollman, P.C.H., Mendoza-Hill, J., (2017). Microplastics in fisheries and aquaculture: status of knowledge on their occurrence and implications for aquatic organisms and food safety, FAO fisheries and aquaculture technical paper. Food and Agriculture Organization of the United Nations, Rome.
Savinelli, B. et al. (2020) Microplastics impair the feeding performance of a Mediterranean habitat-forming coral. Mar. Envir. Res. 155, 104887.
Tubau, X. et al. (2015) Marine litter on the floor of deep submarine canyons of the Northwestern Mediterranean Sea: The role of hydrodynamic processes. Prog. Oceanogr. 134, (379–403).
Wright, S. L., Thompson, R. C. & Galloway, T. S. (2013) The physical impacts of microplastics on marine organisms: A review. Environ. Pollut. 178, (483–492).