Les rôles des pigments chez les coraux bâtisseurs de récifs
La couleur du corail
Les coraux qui peuplent les océans fascinent et sont admirés pour leurs couleurs vives et variées. La couleur dont nous les percevons est en fait le résultat de la superposition des couleurs du corail et de ses microalgues [1]. Ce sont plus précisément les molécules contenues dans ces microalgues, appelées pigments, qui sont responsables de sa couleur. Mais comme la nature est bien faite, nous sommes en droit de nous demander si ces pigments n’auraient pas aussi indirectement un rôle fonctionnel chez le corail ?
Pigments, Spectre et Photosynthèse : Quésako ?
La lumière est un rayonnement électromagnétique qui se déplace sous forme d’ondes. La gamme dans laquelle s’étend ce rayonnement est appelée un « spectre » (Figure 1).
Figure 1 : Spectre de la lumière (Source : inrs.fr)
La photosynthèse (transformation de l’énergie lumineuse en énergie organique assimilable) réalisée par les microalgues du corail représente 80 % des apports nutritifs de ce dernier. Or pour réaliser cette photosynthèse il faut être capable de capter cette lumière, c’est le rôle des pigments.
Différents pigments absorbent différentes longueurs d’onde de la lumière (Figure 1). Or le taux de photosynthèse et donc d’énergie produite, varie considérablement selon les longueurs d’onde de la lumière captée.
Aussi, comme il y a différents pigments, leurs localisations au sein du corail varient également. Par exemple, ceux qui absorbent la lumière visible (400-800 nanomètres) sont situés aux extrémités des coraux, c’est-à-dire au plus près de la surface, là où la présence de lumière est la plus importante [1].
Déterminer la famille d’une protéine : comment les scientifiques y parviennent-ils et quel intérêt y trouvent-t-ils ?
Une équipe de scientifiques [1] a étudié un pigment bleu en particulier, appelée pocilloporine. Ils l’ont extraite à partir d’un corail de la famille des Acroporidae (Figure 2) [1].
Figure 2 : Acropora sp. (Source : Coral Guardian)
Ce pigment est également une molécule de type protéine. Or chaque protéine a une séquence d’acide aminés unique (structure primaire), ces acides aminés s’organisent en motifs bien connus qui forment la structure secondaire de la protéine (ex : Figure 3, les flèches sur le schéma représentent des feuillets bêtas et les spirales, des hélices). Ensuite toutes les structures secondaires s’organisent ensemble grâce à des interactions biochimiques ce qui donne la forme finale en 3D de la protéine. Or c’est cette dernière qui lui confère ses propriétés.
Ainsi, après avoir extrait le pigment et l’avoir analysé, l’équipe a trouvé sa séquence d’acide aminés [1]. Ils ont ensuite utilisés des outils bio-informatiques (MODELLER) afin de construire un modèle 3D de la structure de cette protéine (Figure 3). A partir de ce modèle, ils ont découvert que ce pigment appartient à la famille des protéines vertes fluorescentes (GFP). Ces protéines émettent de la lumière verte après exposition aux UV ou à la lumière visible [1].
Figure 3 : Modèle moléculaire obtenu à partir de MODELLER de la pocilloporine extraite des coraux bâtisseurs de récifs (Source : Dove et al. [1])
Rôles fonctionnels des pigments (pocilloporine) chez les coraux : captation de la lumière et protection contre les forts rayonnements solaires
Un organisme bioluminescent est un organisme qui émet de la lumière. Souvent, ce sont des protéines qui sont responsables de l’émission de cette lumière. Or les coraux bâtisseurs de récifs ne sont pas connus pour être bioluminescent, quelles sont donc les fonctions de ces pocilloporines ?
Un fort rayonnement solaire (comme les ultraviolets) peut provoquer un grand stress chez les coraux et induire le phénomène bien connu de «blanchissement des récifs coralliens » [2]. Les coraux expulsent alors les microalgues avec qui ils entretiennent une symbiose très importante pour leur survie [2]. Ainsi, dans un environnement où la lumière est trop importante, certaines pocilloporines ont un rôle de protection des microalgues contre la lumière, ils sont placés dans la partie supérieure de la microalgue, un peu à la manière de boucliers [1].
De plus, d’autres pocilloporines sont capables de convertir ces « mauvaises » radiations ultraviolettes (300-360nm) en lumière bleue (440-445nm) ou lumière bleue-verte (480-490 & 500-505nm) [1]. Or ces radiations pourront être utilisées bénéfiquement par les microalgues pour réaliser la photosynthèse [1]. Ces pocilloporines, situées dans la partie inférieure des microalgues, améliorent donc la quantité de lumière totale disponible pour la réalisation de la photosynthèse dans des habitats pauvres en lumière [1].
Pour résumer :
Les pigments jouent un rôle important chez les coraux. En effet, certaines pocilloporines offrent un rôle de protection des microalgues symbiotiques dans des conditions de grande luminosité, d’autres améliorent la disponibilité de la lumière photosynthétique dans des conditions de faible luminosité [1]. Ainsi, le fait de posséder différents pigments permet aux microalgues photosynthétiques de s’adapter aux conditions d’éclairement variables de l’océan en terme de qualité et de quantité, et ce quelle que soit la profondeur, afin de réaliser la photosynthèse nécessaire à la survie des coraux symbiotiques.
[1] : Dove, S. G., Hoegh-Guldberg, O., & Ranganathan, S. (2001). Major colour patterns of reef-building corals are due to a family of GFP-like proteins. Coral reefs, 19(3), 197-204.
[2] : Glynn, P. W. (1993). Coral reef bleaching: ecological perspectives. Coral reefs, 12(1), 1-17.