Égalité des genres dans les sciences marines ? Pas encore…
Remerciements à Sylvaine Giakoumi
L’égalité des genres est un sujet incontournable qui a été défini comme objectif des Nations Unies pour 2030 au même titre que l’émancipation des femmes. L’égalité des genres assure à tous les mêmes droits et responsabilités, avec les mêmes opportunités et les mêmes ressources, sans traitement de faveur suivant son genre. La question de l’égalité des genres se pose dans la recherche depuis plusieurs années. Au CNRS, organisme de recherche scientifique français, depuis 2013 une analyse est faite sur la parité entre sexes dans la communauté de mathématique, par exemple. Mais la biologie attire plus les femmes que les autres sciences (Anneke et al., 2019). Alors qu’en est-il de la présence des femmes dans la recherche en biologie marine ? Sans surprise, de nombreuses études prouvent qu’elle est loin d’être acquise. Une équipe de 11 chercheuses du monde entier a d’ailleurs montré que des biais de genre étaient réels et persistants (Giakoumi et al., 2021).
La chercheuse Sylvaine Giakoumi et ses 10 co-autrices ont réalisé une étude sur la présence et la visibilité des femmes dans les sciences naturelles dans plusieurs institutions de recherche de l’Union Européenne, sans possibilité de distinguer les postes en biologie marine. Le CNRS (Centre National de Recherche Scientifique) en France, le CSIC (Consejo Superior de Investigaciones Científicas – conseil supérieur de la recherche scientifique) en Espagne et le ministère de la recherche en Italie ont communiqué les proportions d’hommes et de femmes employés à différents niveaux de carrière*. Si en doctorat et post-doctorat (CDD courts), les femmes sont légèrement plus nombreuses que les hommes, la tendance s’inverse franchement pour les postes de chercheur en CDI. Et plus le niveau hiérarchique augmente, moins il y a de femmes à ces postes (Fig. 1). Ces résultats sont en accord avec de nombreuses autres études liées au milieu marin (Arismendi and Penaluna, 2016 ; Shellock et al., 2022 ; Legg et al., 2023). La question se pose donc de savoir pourquoi les femmes, tout aussi nombreuses au début de leurs études doctorales, obtiennent plus difficilement un poste dans la recherche en Europe et ne grimpent pas les échelons par la suite. Eaton et al. (2020) ont montré des biais de genre et d’ethnie dans le recrutement, qui participent probablement à cette tendance.
Figure 1 : Représentation des hommes et des femmes dans la recherche à l’Union Européenne (A), le CNRS en France (B), la recherche italienne (C) et le CSIC en Espagne (D). Traduite et adaptée d’après Giakoumi et al. (2021).
Giakoumi et al. (2021) ont également analysé la présence d’autrices femmes dans les publications scientifique de l’UE en biologie marine. Elles ont montré que les femmes sont moins souvent présentes en premier auteur de publication**, surtout dans les journaux prestigieux. Ces résultats se retrouvent de manière globale en biologie et dans le monde entier (Holman et al., 2016 ; Bendels et al., 2018). Ahmadia et al. (2021) ont trouvé des résultats similaires dans les articles sur les sciences coralliennes, que ce soit dans ou en dehors des pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Les femmes obtiennent également moins de bourses de recherche (Giakoumi et al., 2021).
Si ces chiffres sont bien réels et confirmés par de multiples publications, la nouveauté de cet article réside dans l’analyse des biais de genre faite par les autrices. Les chercheuses se sont en effet posées la question de la perception des chercheurs partout dans le monde sur cette sous-représentation féminine. Elles ont envoyé des questionnaires à de nombreux chercheurs dans le monde et ont traité les réponses à plusieurs questions, en analysant notamment les réponses des hommes et des femmes. Un point étonnant est le nombre de répondants de chaque genre. Il y a en effet eu seulement 25% de répondants masculins, alors qu’ils sont plus nombreux dans la recherche. Il s’agit là d’un résultat en soi : il semble que les hommes prennent moins la peine de répondre à une enquête sur le genre que les femmes (Giakoumi et al., 2021). Et en s’attardant sur les réponses, il s’avère que quelle que soit la question posée, les hommes ressentent moins l’inégalité homme-femme (Fig. 2), que ce soit sur le nombre de postes, la publication dans les journaux ou même leur capacité à obtenir des bourses de recherche.
Figure 2 : Chaque barre montre la proportion de femmes (♀ n = 576) et d’hommes (♂ n= 188) ayant répondu à chaque affirmation. Traduite d’après Giakoumi et al. (2021).
Conclusion
La présence des femmes est minoritaire dans les postes de décision en biologie marine, alors même qu’il a été prouvé que leur leadership mène à une plus grande efficacité et à des mesures plus innovantes dans la recherche marine (Blyhte and Cvitanovic, 2020). Il a également été montré que diverses options pourraient être mises en place pour augmenter la présence de femmes dans la recherche en biologie marine (Johannesen et al. 2022), et en biologie en général. Par exemple, Shellock et al. (2023) proposent des solutions basées sur l’expérience de femmes leader en biologie marine pour augmenter la proportion de femmes dans la recherche en biologie. Ces solutions sont à adapter au pays et à l’environnement culturel et politique. Pour le bien des océans et de leur sauvegarde, il faut que les choses changent et que les femmes aient les mêmes chances d’atteindre les postes à responsabilité que les hommes, basées sur les compétences et non le genre. Il ne faut pas non plus oublier que ces biais de genre se cumulent avec la nationalité, l’origine ethnique ou encore l’âge, rendant l’accès à la recherche encore plus difficile pour certaines personnes.
*Les genres féminin et masculin étant les seuls disponibles dans les bases de données des différentes institutions européennes, les autrices n’ont pu inclure les autres genres.
**Le premier auteur d’une publication scientifique est souvent la personne qui a mené l’étude et rédigé l’article. Elle est secondée par les différents auteurs par ordre d’importance du deuxième à l’avant-dernier. Le dernier auteur est la personne qui a encadré le travail fourni par les autres auteurs. Cela peut être le directeur de thèse ou le directeur de laboratoire.
Bibliographie
Ahmadia G.N., Cheng S.H., Andradi-Brown D.A., Baez S.K., Barnes M.D. et al. 2021. Limited Progress in Improving Gender and Geographic Representation in Coral Reef Science. Frontiers in Marine Science. Vol 8. https://doi.org/10.3389/fmars.2021.731037
Anneke M.S., Höffler T.N., Keller M.M., Parchmann I. 2019. Gender differences in mathematics and science competitions: A systematic review. Journal of research in science teaching. Vol 56, issue 10. https://doi.org/10.1002/tea.21580
Arismendi I., Penaluna B.E. 2016. Examining diversity inequities in fisheries science: A call to action. Bioscience. Vol 66, issue 7. https://doi.org/10.1093/biosci/biw041
Bendels M.H.K., Müller R., Brueggmann D., Groneberg D.A. 2018. Gender disparities in high-quality research revealed by Nature Index journals. PLoS One. Vol 13, issue 1. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0189136
Blythe J., Cvitanovic C. 2020. Five Organizational Features That Enable Successful Interdisciplinary Marine Research. Frontiers in Marine Science. Vol 7. https://doi.org/10.3389/fmars.2020.539111
Eaton A.A., Saunders J.F., Jacobson R.K., West K. 2020. How Gender and Race Stereotypes Impact the Advancement of Scholars in STEM: Professors’ Biased Evaluations of Physics and Biology Post-Doctoral Candidates. Sex roles. 82.
Giakoumi S., Pita C., Coll M., Fraschetti S., Gissi E., Katara I., Lloret-Lloret E., Rossi F., Portman M., Stelzenmüller V., Micheli F. 2021. Persistent gender bias in marine science and conservation calls for action to achieve equity. Biological conservation. Vol 257. https://doi.org/10.1016/j.biocon.2021.109134
Holman L., Stuart-Fox D., Hauser C.E. 2018. The gender gap in science: How long until women are equally represented? PLoS Biology. Vol 16, issue 4. https://doi.org/10.1371/journal.pbio.2004956
Johannesen E., Ojwala R.Au., Rodriguez M.C., Neat F., Kitada M., Buckingham S., Schofield C., Long R., Jarnsäter J., Sun Z. 2022. The Sea Change Needed for Gender Equality in Ocean-Going Research. Marine Technology Society. 3:18-24. https://doi.org/10.4031/MTSJ.56.3.6
Legg S., Wang C., Kappel E., Thompson A. 2023. Gender Equity in Oceanography. Annual Review of Marine Science. Vol 15:15-39. https://doi.org/10.1146/annurev-marine-032322-100357
Shellock R.J., Cvitanovic C., Mackay M., McKinnon M.C., Blythe J. et al. 2022. Breaking down barriers: The identification of actions to promote gender equality in interdisciplinary marine research institutions. One Earth. Vol 5, issue 6. https://doi.org/10.1016/j.oneear.2022.05.006
Shellock R.J., Cvitanovic C., McKinnon M.C., van Putten I.E., Blythe J. et al. 2023. Building leaders for the UN Ocean Science Decade: a guide to supporting early career women researchers within academic marine research institutions. Vol 80, issue 1. https://doi.org/10.1093/icesjms/fsac214
Ces articles pourraient vous intéresser
Comment est-ce que les pêcheurs traditionnels comprennent les graphiques scientifiques ?
Contexte Pour que la gestion des pêcheries mène à des bénéfices locaux et durables, la prise de décisions liée à un suivi de pêche est…
26 May 2023Parole de partenaire : Matthias et Trent de la société Eco Elio
Parlez-nous un peu de vous 🙂 Nous sommes Matthias et Trent – cofondateurs et directeurs généraux d’eco elio ! Nous sommes un fabricant de crèmes…
25 April 2023APPEL À PROJETS
Pour le développement d’un programme de conservation d’écosystème corallien en partenariat avec Coral Guardian. L’association Coral Guardian Coral Guardian est une association française de loi…
13 April 2023Lancement du premier projet de conservation marine participative en mer Méditerranée
Nous nous lançons désormais en mer Méditerranée avec le premier projet de conservation marine participative dans cette région du monde. Ce projet, réalisé en collaboration…
17 February 2021