Les nuages nous soutiennent dans la protection des coraux ?

Enigme au Pacifique : qui a sauvé les coraux des îles de la Société ?

La présence de nuages dans le ciel améliorerait la santé des récifs coralliens ? C’est la question qui s’est imposée aux scientifiques suite à un énigmatique évènement en Polynésie Française. En 1998, l’ensemble des coraux de l’archipel Tuamotu souffraient d’un blanchissement critique suite à la vague de chaleur apportée par les courants El-Niño. Un phénomène classique, étant donné la fragilité des coraux face aux augmentations de température. Mais ce qui a intrigué les écologues, c’est l’état dans lequel on a retrouvé les récifs coralliens des îles de la Société, proche de l’archipel Tuamotu, ayant subis les mêmes courants chauds… Ils avaient beaucoup moins blanchis ! Encore plus étrange, 50 années de données enregistrées ont montré que les récifs coralliens de ces deux zones proches ont toujours réagis de la même manière aux événements thermiques régionaux [1]. Alors comment expliquer que les coraux réagissent différemment dans des eaux de même température ? 

Pour élucider ce mystère, ils se sont aperçus qu’il fallait sortir la tête de l’eau et lever les yeux au ciel. Après analyse des données météorologiques, les scientifiques ont observé une couverture nuageuse inédite durant l’été ‘98 au-dessus des îles de la Société [1]. Juste au-dessus de là où les coraux ont étrangement résisté à la vague de chaleur. C’est ainsi que ce casse-tête a éveillé l’intérêt des scientifiques pour le rôle, jusqu’alors négligé, des nuages dans la protection des récifs coralliens.

Aux sources du blanchissement, le rôle ambigu du Soleil…

Généralement, les chercheurs se concentrent sur la température des océans lorsqu’ils étudient le blanchissement des coraux. À raison, son impact est scientifiquement indiscutable (vous pouvez consulter cet article pour en savoir plus). Cependant, la recherche nous permet désormais de comprendre que le stress des coraux, provoquant le blanchissement, peut trouver différentes sources dans l’environnement [2]. Les rayons solaires sont l’une de ces pressions.

Les récifs tropicaux subsistent grâce à la photosynthèse pratiquée par des microalgues, les zooxanthelles, qui vivent en symbiose dans le corps des coraux et les fournissent en nutriments. Ils ont donc, comme les plantes, besoin de lumière pour vivre. Mais cette même lumière peut s’avérer dangereuse passée un certain seuil d’intensité car elle devient une source de stress chez les coraux, stimulant le blanchissement[3]. Ainsi, le fléau ne trouve pas son origine que dans les hausses de température océanique, mais aussi dans l’intensité de l’ensoleillement. Les nuages, filtrant naturellement la lumière, apparaissent alors comme une solution pour prévenir du blanchissement des coraux.

Le bouclier nuageux enfin reconnu !

Face à ce constat, les chercheurs en écologie marine et climatologie Dr. Gonzalez-Espinosa et Pr. Donner, de l’University of British Columbia au Canada, ont récemment proposé une amélioration des calculs de prédiction du blanchissement corallien dans le monde. Alors que ceux-ci ne prenaient initialement que la température en compte, les données de couverture nuageuse y ont été intégrées [4]. Après avoir testé ce nouveau modèle sur le terrain et comparé à l’ancien, il est clair que la prise en compte des nuages permet des prédictions plus fidèles à la réalité ! Nous avons ici notre preuve incontestable de l’impact des nuages sur le blanchissement corallien [4].

Au-delà de permettre une meilleure compréhension des forces en jeu dans le blanchissement, cette contribution apporte de nouvelles pistes pour la gestion et la protection des récifs coralliens. Nous sommes désormais en mesure de localiser des zones à haut potentiel de refuge sur la base de l’intensité nuageuse autour du globe (Figure 1) [5]. Par exemple, une large zone de l’Océan Pacifique bénéficie d’une couverture nuageuse conséquente et en augmentation (Figure 1), offrant un espace où les coraux auraient de fortes chances de prospérer sur le long-terme [6].

Figure 1. Tendances prévisionnelles de couverture nuageuse sur la période 2015-2100. Le rouge illustre une prévision d’augmentation de la couverture nuageuse et le bleu une prévision de diminution. (Adaptée de la figure 4 de l’article de Gonzalez-Espinosa & Donner, 2023 [5] ).

Face à l’incertitude climatique : la solidarité planétaire

À l’aide du modèle de prédiction fraîchement mis à jour, ces mêmes chercheurs ont projeté des estimations de l’impact du changement climatique sur les récifs coralliens en intégrant la couverture nuageuse [5]. Différents scénarios prévisionnels du changement climatique ont été testés (scénarios SSP), variant notamment en fonction de l’intensité du réchauffement climatique à venir.

Dans les scénarios les plus critiques (scénario SSP5-8.5), dûs à de fortes émissions humaines, la protection apportée par les nuages est insuffisante pour empêcher un blanchissement quasi total sur l’ensemble du globe (Figure 2) [5]. Cette éventualité serait une catastrophe pour la biodiversité marine et les conditions de vie de l’humanité.

Figure 2. Distribution géographique des prévisions d’intensité du blanchissement sur les récifs (Bleaching frequency) en l’année 2050 dans le scénario pessimiste (SSP5-8.5). La carte E (DHM-only) se base sur le modèle qui ne prend en compte que la température, la carte H (Cloud) se base sur le modèle qui prend en compte la température et la couverture nuageuse. (Adaptée de la figure 2 de l’article de Gonzalez-Espinosa & Donner, 2023 [5]).

Cependant, dans les scénarios plus optimistes où nous arrivons à diminuer drastiquement nos émissions et permettons une adaptation progressive aux coraux (SSP1), les nuages peuvent apporter un soutien très conséquent [5]. Ils permettraient la conservation d’environnement vivables et pourraient jusqu’à ralentir le blanchissement de plusieurs décennies ! (Figure 3).

Figure 3. Distribution géographique des prévisions d’intensité du blanchissement sur les récifs (Bleaching frequency) en l’année 2050 dans le scénario optimiste (SSP1-2.6). La carte A (DHM-only) se base sur le modèle qui ne prend en compte que la température, la carte C (Cloud), en bas, se base sur le modèle qui prend en compte la température et la couverture nuageuse. (Adaptée de la figure 2 de l’article de Gonzalez-Espinosa & Donner, 2023 [5]).

Il est toujours inquiétant d’aborder ces prédictions, mais les découvertes apportées ne sont pas décourageantes, bien au contraire ! Elles soulignent l’utilité et la nécessité de la lutte pour une réduction radicale de nos activités polluantes,  la protection des milieux en danger et la restauration de ceux déjà affectés. L’issue de l’Anthropocène n’est pas encore jouée et les conclusions possibles sont diverses; c’est ce qui donne sens à notre action.

La nature ne peut pas réguler à court terme seule l’ampleur des dégâts que nous avons causés. Cependant, si nous encourageons de nouvelles politiques ainsi que des actions concrètes qui s’appliquent à prendre soin du vivant et respecter les équilibres de notre planète, alors nous avons les meilleures raisons de penser que le pire est évitable. Cette étude permet de nous rappeler la nécessaire coopération entre l’humain et la diversité des acteurs de cette planète (qu’ils soient animal, végétal, ou même météorologique), afin de mutualiser nos forces pour préserver notre biosphère.

À retenir :

• Les coraux sont fragiles à une forte luminosité, intensifiant leur blanchissement.
• Les nuages diminuent l’intensité lumineuse, épargnant les coraux du stress blanchissant.
• Les prédictions des blanchissements à venir autour du globe sont plus fiables en prenant en compte la couverture nuageuse, en plus de la température océanique.
• La carte de couverture nuageuse mondiale nous permet d’identifier des zones à fort potentiel de refuge pour les coraux.
• Si nous intensifions nos efforts pour préserver la planète, et atteindre les scénarios climatiques moins critiques, les nuages participeront grandement à préserver les écosystèmes coralliens.

Sources

1. Mumby PJ, Chisholm JRM, Edwards AJ, Andrefouet S, Jaubert J. Cloudy weather may have saved Society Island reef corals during the 1998 ENSO event. Mar Ecol Prog Ser. 2001 Nov 5;222:209–16.
2. Ban SS, Graham NAJ, Connolly SR. Evidence for multiple stressor interactions and effects on coral reefs. Glob Change Biol. 2014;20(3):681–97.
3. Weis VM. Cellular mechanisms of Cnidarian bleaching: stress causes the collapse of symbiosis. J Exp Biol. 2008 Oct 1;211(19):3059–66.
4. Gonzalez-Espinosa PC, Donner SD. Cloudiness reduces the bleaching response of coral reefs exposed to heat stress. Glob Change Biol. 2021;27(15):3474–86.
5. González-Espinosa PC, Donner SD. Cloudiness delays projected impact of climate change on coral reefs. PLOS Clim. 2023 Feb 8;2(2):e0000090.
6. Donner SD, Carilli J. Resilience of Central Pacific reefs subject to frequent heat stress and human disturbance. Sci Rep. 2019 Mar 5;9(1):3484.