Les aires marines protégées : quel objectif de conservation prioriser ?
Pourquoi protéger les océans ?
Les océans soutiennent une énorme biodiversité, contribuent à la régulation du climat, et offrent des bénéfices très divers aux humains [1]. Toutefois, les océans sont grandement menacés par des pressions anthropiques qui compromettent la conservation de leur biodiversité et leur capacité à soutenir les communautés humaines. La création d’aires marines protégées (ou AMP) est une des stratégies les plus reconnues à long terme pour protéger et gérer les océans qui font face aux pressions d’origine humaine, avec des objectifs de conservation spécifiques [2].
Cependant, en 2021, seulement 7% de la superficie océanique totale est désignée comme AMP qui, en réalité, ne compte que 2.7% de zones activement protégées [1]. Cette faible proportion s’explique en partie par les conflits d’intérêt économiques et de conservation qui peuvent exister autour de la déclaration et l’implémentation des AMP dans différents contextes.
Dans ce cadre, une étude publiée cette année par une équipe de chercheurs coordonnée par le Dr. Enric Sala a voulu apporter de nouvelles réponses. Ce papier identifie les zones prioritaires autour du monde pour la création des AMP où les bénéfices apportés par les objectifs de gestion pourraient être maximisés [2]. En particulier, les trois objectifs ciblés sont la conservation de la biodiversité, l’approvisionnement alimentaire et le stockage du carbone.
Aires Marines Protégées à objectifs uniques
La première partie de l’analyse concerne l’identification des zones prioritaires à protéger pour augmenter les bénéfices d’un des trois objectifs mentionnés ci-dessus.
Si le seul but est la conservation de la biodiversité, il suffirait de protéger 21% des océans pour atteindre 90% des bénéfices potentiels liés, incluant la minimisation du risque d’extinction des espèces et la préservation de l’histoire évolutive des espèces marines. De ces 21%, la majorité est située dans les Zones Exclusives Économiques (ZEE), dans les territoires nationaux gérés par les États, et en minorité en haute mer concernant des zones de monts sous-marins et de l’Antarctique, entre autres.
Concernant l’approvisionnement alimentaire, pour atteindre 90% du bénéfice maximum en termes de captures de poissons, 5.3% de l’océan devrait être protégé, dont plus de 90% de zones se situent dans les juridictions nationales.
Par rapport au stockage du carbone dans les océans, la pêche au chalut est identifiée comme le facteur d’impact le plus important. Cependant, toutes les activités qui perturbent les fonds marins ont un impact dans la libération de CO2, comme l’exploitation minière en haute mer, dont il existe peu d’informations concernant la distribution spatiale [4]. Néanmoins, les résultats des auteurs montrent qu’il suffirait de protéger 3.6% des océans pour éliminer 90% du risque de libération de carbone par l’action de la pêche au chalut.
Aires Marine Protégées à objectifs multiples
Une deuxième partie de l’étude est tournée vers l’identification des zones d’intérêt pour la création des AMP avec plusieurs objectifs de gestion, afin d’augmenter les bénéfices.
La première approche pour combiner les objectifs est faite en identifiant les aires où 90% des bénéfices de deux ou trois objectifs sont atteints simultanément (Fig 1). Leurs analyses montrent que la protection de seulement 2.7% et 0.3% des océans pourrait maximiser les bénéfices de deux ou trois objectifs à la fois (zones rouges et oranges respectivement de la Fig 1).
Fig 1. Zones prioritaires pour atteindre 90% des bénéfices maximums pour un (jaune), deux (orange) ou trois (rouge) objectifs de conservation simultanément. En bleu, les Aires Marines Protégées existantes. Source: [2].
Alternativement, une approche qui permet d’établir les zones en fonction de l’importance accordée à chaque objectif est aussi présentée. Celle-ci offre différents scénarios qui permettent d’attribuer une importance différente à chaque objectif, selon les intérêts des acteurs (Fig 2). Par exemple, si la conservation de la biodiversité est ciblée avec la même importance que l’approvisionnement de nourriture (scénario c Fig. 2), la protection de 45% de l’océan apporterait 71% et 92% du maximum des bénéfices de chaque objectif respectivement. Par contre, si la conservation de la biodiversité est définie comme non prioritaire, et l’approvisionnement de nourriture comme l’objectif principal (scénario b Fig. 2), 28% de l’océan pourrait offrir le maximum de bénéfices pour la pêche.
Si cet outil était mis au service des acteurs de la conservation marine, il permettrait d’identifier les zones prioritaires à protéger en fonction de leurs besoins et intérêts particuliers.
Fig 2 : Priorisation de plusieurs objectifs de conservation avec différentes préférences possibles. (a) Chaque point est un scénario avec des bénéfices liés à l’importance donnée aux objectifs. Les bénéfices d’approvisionnement alimentaire sur l’axe Y; les bénéfices pour la conservation de la biodiversité sur l’axe X; les couleurs représentent les bénéfices liés au carbone; la taille des points est la proportion d’océan protégé. (b), (c ) et (d) sont des scénarios possibles. Source: [2].
Une collaboration qui doit se faire au niveau international
Au vu de l’analyse faite au niveau global, les auteurs ont pu estimer comment la collaboration entre les pays peut contribuer à atteindre des objectifs de conservation. Dans le cadre d’une stratégie qui serait uniquement sur le plan national, la surface à protéger devrait être plus importante pour maximiser les bénéfices. Tandis que si la stratégie est issue d’efforts coordonnées à l’international, les résultats montrent que 90% des bénéfices de biodiversité pourraient être obtenus avec moins de la moitié de la surface à protéger. Autrement dit, la collaboration entre pays pour l’implémentation des AMP permettrait de rendre les efforts beaucoup plus efficaces.
Indépendamment des priorités des acteurs marins, les chercheurs soulignent l’urgence d’augmenter les investissements envers les AMP autour du monde pour permettre la création de nouvelles zones. Mais surtout un renforcement de la mise en vigueur des AMP déjà existantes afin de ralentir les crises actuelles et futures. Cela permettrait d’atteindre les objectifs de conservation et le maintien des bénéfices pour les communautés humaines tels que les revenus provenant du tourisme, la sécurité alimentaire ainsi que l’atténuation du changement climatique. Dans ce sens, la collaboration internationale et l’acceptation de la part des acteurs locaux sont des éléments fondamentaux pour assurer l’efficacité des AMP et le soutien des communautés humaines.
Rédigé par Florina Jacob et Coralie Barrier.
Pour plus d’information :
[1] Marine Conservation Institute. (2020) The Marine Protection Atlas. Ressource virtuelle : http://mpatlas.org
[2] Day J., Dudley N., Hockings M., Holmes G., Laffoley D., Stolton S. & S. Wells, 2012. Application des catégories de gestion aux aires protégées : lignes directrices pour les aires marines. Gland, Suisse: UICN. 36 pp.
[3] Sala, E., Mayorga, J., Bradley, D. et al. Author Correction: Protecting the global ocean for biodiversity, food and climate. Nature 592, E25 (2021). https://doi.org/10.1038/s41586-021-03371-z
[4] Stratmann, T., Lins, L., Purser, A., Marcon, Y., Rodrigues, C. F., Ravara, A., Cunha, M. R., Simon-Lledó, E., Jones, D. O. B., Sweetman, A. K., Köser, K., and van Oevelen, D.: Abyssal plain faunal carbon flows remain depressed 26 years after a simulated deep-sea mining disturbance, Biogeosciences, 15, 4131–4145, https://doi.org/10.5194/bg-15-4131-2018.